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les rencontres… (le cheikh…)
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ô voisin ! Car c’est la première fois qu’on vend un poisson de cette beauté et de ce prix pour un morceau de plomb qui vaut à peine une petite monnaie de cuivre. Mais nous recevons cela en cadeau de ta part, pour ne pas te faire de déplaisir, et parce que tu le fais d’un cœur amical et généreux. » Et nous échangeâmes encore quelques civilités, et il s’en alla.

Et moi je remis à mon épouse le poisson du pêcheur, en lui disant : « Tu vois, ô femme, que Si Saâdi n’avait pas tort, qui m’avait dit qu’un morceau de plomb pourrait m’être plus utile, si Allah veut, que tout l’or du Soudan. Voici un poisson comme jamais n’en ont eu sur leurs plateaux les émirs et les rois. » Et mon épouse, bien que fort réjouie à la vue de ce poisson, ne laissa pas néanmoins de me répondre : « Oui, par Allah ! mais comment m’y prendrai-je pour l’accommoder ? Nous n’avons pas de gril, et nous n’avons pas, non plus, de vase assez grand pour le faire cuire en son entier. » Et je répondis : « Qu’à cela ne tienne, nous le mangerons bien, qu’il soit entier ou en morceaux ! N’aie donc pas de scrupules pour sacrifier sa vue extérieure, et ne crains pas de le couper en morceaux pour nous le faire cuire en ragoût. » Et ma femme, l’ayant fendu par le milieu, retira les entrailles, et vit au milieu de ces entrailles quelque chose qui brillait d’un vif éclat. Elle le retira, le lava dans le seau, et nous vîmes que c’était un morceau de verre, gros comme un œuf de pigeon, et transparent comme l’eau du rocher. Et, après que nous l’eûmes regardé quelque temps, nous le donnâmes à nos enfants, pour qu’ils s’en fissent un