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les rencontres… (le cheikh…)
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si ces deux affligeantes aventures ne nous étaient pas arrivées.

Pourtant une seule chose restait qui continuait à me chagriner : j’étais inquiet quand je me demandais à moi-même comment je pourrais soutenir la présence de Si Saâd, mon bienfaiteur, lorsqu’il viendrait me demander compte de l’emploi des deux cents dinars d’or. Et cette idée noircissait le monde et la vie devant mon visage.

Enfin, le jour tant redouté arriva, qui me mit en présence des deux amis. Et Si Saâd, d’avoir ainsi tardé à venir prendre de mes nouvelles, devait sans aucun doute dire à Si Saâdi : « Ne nous pressons pas d’aller trouver Hassân le cordier. Car plus nous différerons notre visite, plus il se sera enrichi, et plus la satisfaction que j’en aurai sera grande. » Et Si Saâdi devait, je suppose, lui répondre en souriant : « Par Allah ! je ne demande pas mieux que d’être de ton avis. Seulement je crois fort que le pauvre Hassân aura encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver à l’endroit où l’attend l’opulence. Mais nous voici arrivés. Et il va lui-même nous dire où en sont ses affaires ! »

Et moi, ô émir des Croyants, j’étais si confus que je n’avais qu’une envie, et c’était d’aller me cacher à leur vue ; et je souhaitais de toutes mes forces voir la terre s’entr’ouvrir et m’avaler. Aussi, quand ils furent devant la boutique, je fis semblant de ne pas les apercevoir, et je continuai à avoir l’air d’être fort attaché à mon travail de cordier. Et je ne levai les yeux, pour les regarder, que lorsqu’ils m’eurent donné le salam et que je fus obligé de le leur rendre.