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les mille nuits et une nuit

long de te rapporter, ô mon seigneur, toi qui n’ignores point combien les femmes sont éloquentes dans l’affliction, tout ce que la douleur lui mit alors dans la bouche. Et je ne savais comment faire pour la calmer. Je lui disais : « Ô fille de l’oncle, modère-toi, de grâce ! Tu ne vois pas que tu vas attirer tous les voisins par tes cris et par tes pleurs, et il n’est vraiment pas besoin qu’ils soient informés de cette seconde disgrâce, alors que déjà ils n’ont pas assez de paroles moqueuses et de sourires pour nous tourner en dérision et nous humilier, à cause de l’épervier. Et, cette fois, à nous railler de notre simplicité, ils doubleront leur plaisir. Aussi est-il préférable pour nous, qui avons goûté déjà à leurs railleries, de dissimuler cette perte, et de la supporter patiemment, en nous soumettant aux décrets du Très-Haut. D’ailleurs bénissons-le de ce qu’il a bien voulu ne retirer de Ses dons que deux cent quatre-vingt-dix pièces en nous laissant ces dix dont l’emploi ne laissera pas de nous apporter quelque soulagement. » Mais, quelque bonnes que fussent mes raisons, ma femme eut bien de la peine à s’y rendre. Et ce ne fut que peu à peu que je réussis à la consoler, en lui disant : « Nous sommes des pauvres, c’est vrai. Mais, en somme, les riches, qu’ont-ils dans la vie de plus que nous ? Ne respirons-nous pas le même air ? Ne jouissons-nous pas du même ciel et de la même lumière ? Et ne meurent-ils pas, en fin de compte, comme nous-mêmes ? » Et, de parler ainsi, ô mon seigneur, je finis, non seulement par la convaincre, mais par me convaincre moi-même. Et je continuai mon travail, avec un esprit aussi libre que