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les rencontres… (le cheikh…)
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troc, le marché fut conclu. Et il emporta la jarre, avec son contenu.

Quant à moi, à l’heure du repas, je revins chargé de chanvre, autant que j’en pouvais porter, et je le mis dans la soupente que j’avais ménagée à cet effet dans la maison. Puis je me hâtai d’aller, sans en avoir l’air, jeter un coup d’œil du côté de la jarre qui contenait mes chances. Et je vis ce que je vis. Et je demandai avec précipitation à ma femme pourquoi elle avait enlevé la jarre de sa place habituelle. Et elle me répondit tranquillement en me racontant le troc en question. Et, du coup, la mort rouge entra dans mon âme. Et je m’affalai sur le sol comme un homme pris de vertige. Et je m’écriai : « Éloigné soit le Lapidé, ô femme ! Tu viens d’échanger ma destinée, ta destinée et la destinée de nos enfants contre un peu de terre à décrasser les cheveux. Nous sommes, cette fois, perdus sans recours ! » Et, en peu de mots, je la mis au courant de l’affaire. Et, dans son désespoir, elle se mit à se lamenter, à se frapper la poitrine, à s’arracher les cheveux et à se déchirer les habits. Et elle s’écriait : « Ô notre malheur par ma faute ! J’ai vendu la chance des enfants à ce vendeur de terre à décrasser, que je ne connais pas. C’est la première fois qu’il passe par notre rue, et je ne pourrai jamais plus le trouver, surtout maintenant qu’il aura fait la découverte de la bourse. » Puis, avec la réflexion, elle se mit à me reprocher mon manque de confiance en elle, dans une affaire de cette importance, en me disant que ce malheur aurait été sûrement évité si je lui avais fait part de mon secret. Et d’ailleurs il serait trop