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les rencontres… (le cheikh…)
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monnaies en furent épuisées, nous retombâmes bientôt dans la même misère qu’auparavant, et je fus dans la même impuissance de me tirer de mon état. Pourtant je me gardai bien de murmurer contre les décrets du Très-Haut, et je pensai : « Ô pauvre, le Rétributeur t’a donné du bien dans le temps que tu t’y attendais le moins, et Il te l’a ôté presque dans le même temps, parce qu’Il lui a plu ainsi, et que ce bien était à Lui ! Résigne-toi devant Ses décrets, et soumets-toi à Sa volonté ! » Et pendant que moi j’étais dans ces sentiments, ma femme, à qui je n’avais pu m’empêcher de faire part de la perte que j’avais faite, et par quel endroit elle m’était venue, était tout à fait inconsolable. Et pour comble d’infortune, comme il m’était également échappé, dans le trouble où j’étais, de dire à mes voisins qu’en perdant mon turban je perdais la valeur de cent quatre-vingt-dix dinars d’or, mes voisins, à qui ma pauvreté était dès longtemps connue, ne firent que rire de mes paroles, avec leurs enfants, persuadés que la perte de mon turban m’avait rendu fou. Et les femmes, sur mon passage, disaient en riant : « Voilà celui qui laissa s’envoler sa raison avec son turban ! »

Tout cela !

Or, ô émir des Croyants, il y avait environ dix mois que l’épervier m’avait causé ce malheur, lorsque les deux seigneurs amis Si Saâd et Si Saâdi songèrent à venir me demander des nouvelles de l’usage que j’avais fait de la bourse de deux cents dinars. Et, tout en s’en venant de mon côté, Si Saâd disait à Si Saâdi : « Il y a déjà quelques jours que je pensais à notre ami Hassân, en me faisant un grand