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les mille nuits et une nuit

naît, et s’envola en tenant l’épaule dans son bec et le turban dans ses griffes.

Et moi, à cette vue, je me mis à pousser des cris si affreux que les hommes, femmes et enfants du voisinage en furent émus, et joignirent leurs cris aux miens pour effrayer le voleur et lui faire lâcher prise. Mais nos cris, au lieu de produire cet effet, ne firent qu’exciter l’épervier à accélérer ses battements d’ailes. Et il disparut bientôt dans les airs, avec mon bien et mes chances.

Et moi, fort dépité et attristé, je dus me résoudre à acheter un autre turban, ce qui fit une nouvelle diminution aux dix dinars d’or que j’avais pris soin de tirer de la bourse, et qui étaient maintenant tout mon avoir. Or, comme j’en avais déjà dépensé une bonne partie pour l’achat de mes provisions de chanvre, ce qui me restait était loin de suffire à me faire concevoir désormais de solides espérances sur mon avenir d’opulence. Mais, certes ! ce qui me causa le plus de peine et assombrit le monde devant mes yeux fut la pensée que mon bienfaiteur Si Saâd aurait une piètre satisfaction d’avoir si mal choisi l’homme à qui confier le placement de son argent et la réussite de l’expérience projetée. Et je me disais, en outre, que lorsqu’il apprendrait la malheureuse aventure, il la regarderait peut-être comme une invention de ma part, et m’accablerait de son mépris.

Quoi qu’il en soit, ô mon seigneur, tant que durèrent les quelques dinars qui me restaient, après le rapt de l’épervier, nous ne fûmes pas trop à plaindre à la maison. Mais quand les dernières petites