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les rencontres d’al-rachid… (le cavalier…)
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un bûcheron et le plus pauvre d’entre les bûcherons de Baghdad. Et ma misère était grande, et elle était journellement aggravée par la présence, dans ma maison, de la fille de mon oncle, ma propre épouse, une femme acariâtre, avare, querelleuse, douée d’un œil vide et d’un esprit mesquin. Avec cela elle n’était bonne à rien du tout, et le balai de notre cuisine aurait pu lui être comparé en tendreté et en souplesse. Et, comme elle était plus tenace qu’une mouche de cheval et plus criarde qu’une poule offusquée, je m’étais décidé, après bien des disputes et des déboires, à ne jamais lui adresser la parole et à exécuter, sans discuter, tous ses caprices, afin d’avoir quelque repos à ma rentrée du travail fatigant de la journée. Ce qui faisait que lorsque le Donateur rétribuait mes peines par quelques drachmes d’argent, la maudite ne manquait jamais d’accourir s’en emparer, dès le seuil franchi. Et c’est ainsi que s’écoulait ma vie, ô émir des Croyants.

Or, un jour d’entre les jours, ayant eu besoin de m’acheter une corde à lier les fagots, vu que celle que je possédais était tout effilochée, je me décidai, malgré toute la terreur que m’inspirait l’idée d’adresser la parole à mon épouse, à lui faire part du besoin où j’étais de l’achat de cette corde neuve. Et à peine les mots d’achat et de corde furent-ils sortis de ma bouche, ô émir des Croyants, que je crus entendre s’ouvrir sur ma tête toutes les portes des tempêtes. Et ce fut un orage lâché d’injures et de récriminations qu’il n’est point urgent de répéter en présence de notre maître. Et elle mit fin à tout cela, en me disant : « Ah ! le pire des vauriens et des mauvais