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les mille nuits et une nuit

faire noircir le visage de mon maître devant ses voisins, j’examinai avec attention tous les pièces qu’ils me mirent sous les yeux. Et il ne s’en présenta pas une seule, parmi les fausses, que je ne misse la patte dessus et ne la séparasse d’avec les autres.

Et ma renommée se répandit à travers tous les souks de la ville, et même dans les harems, grâce à la loquacité de l’épouse de mon maître. Et, du matin au soir, la boulangerie fut assiégée par la foule des curieux qui voulaient expérimenter mon habileté à distinguer la fausse monnaie. Et je ne manquais pas ainsi d’occupation, toute la journée, devant contenter les clients qui venaient, plus nombreux de jour en jour, chez mon maître, des quartiers les plus éloignés de la ville. Et, de la sorte, ma réputation procura à mon maître plus de pratiques que n’en avaient tous les boulangers réunis de la ville. Et mon maître ne cessait de bénir ma venue qui lui avait été aussi précieuse qu’un trésor. Et sa fortune, due à ses sentiments pitoyables, ne fut pas sans chagriner le marchand de têtes de moutons, qui se mordit les doigts de désappointement. Et, dans sa jalousie, il ne manqua pas de me dresser des embûches soit pour m’enlever, soit pour m’occasionner des désagréments, en excitant contre moi, dès que je sortais, les chiens du quartier. Mais je n’avais plus rien à craindre ; car, d’un côté, j’étais bien gardé par mon maître, et, de l’autre, j’étais bien défendu par les boutiquiers, admirateurs de mon petit savoir.

Et il y avait déjà quelque temps que je vivais de la sorte, entouré par la considération générale ; et j’eusse été vraiment heureux de ma vie, si, dans ma