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les rencontres d’al-rachid… (la jument…)
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plorais de m’accorder la faveur de ce refuge. Mais il resta inflexible, et se mit même à brandir son bâton, en me criant d’une voix qui ne me laissait plus de doutes sur ses intentions : « Va-t’en, ô proxénète ! »

Alors moi, fort humilié et, d’un autre côté, redoutant les attaques des chiens du quartier qui commençaient déjà à foncer sur moi de tous les points du souk, je livrai mes jambes au vent et détalai en toute hâte vers la boutique ouverte d’un boulanger, toute proche de celle du tripier.

Or, à première vue, ce boulanger, tout au contraire du vendeur de têtes de mouton dévoré de scrupules et hanté par les superstitions, me parut un homme gai et de bon augure. Et il l’était, en effet. Et au moment où j’arrivai devant sa boutique, il était assis sur sa natte en train de déjeuner. Et tout de suite son âme compatissante le poussa, bien que je ne lui eusse donné aucune marque de mon besoin de manger, à me jeter un gros morceau de pain trempé dans de la sauce aux tomates, en me disant d’une voix très bonne : « Tiens, ô pauvre ! mange avec délices ! » Mais moi, loin de me jeter avec avidité et gloutonnerie sur le bien d’Allah, comme font d’ordinaire les autres chiens, je regardai le généreux boulanger en lui faisant un signe de tête et un mouvement de queue, pour bien lui témoigner ma gratitude. Et il dut être touché de ma civilité et m’en savoir quelque gré, car je le vis me sourire avec bonté. Et moi, bien que je ne fusse plus torturé par la faim et que je n’eusse pas besoin de manger, je ne laissai point, uniquement pour lui faire plaisir, de prendre le morceau de pain avec