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les mille nuits et une nuit

mais ce fut pour revenir de mon côté, dans le but évident de me faire déguerpir. Et, en effet, je vis bien que je ne devais point compter sur l’asile et la protection que j’avais espérés. Car ce tripier était un de ces gens formalistes à outrance et superstitieusement fanatiques, qui considèrent les chiens comme des bêtes immondes, et ne trouvent pas assez d’eau ni de savon pour laver leurs vêtements quand, par hasard, un chien les a touchés en passant près d’eux. Il s’approcha donc de moi, et m’enjoignit du geste et de la voix d’avoir à déguerpir au plus vite de sa boutique. Mais moi je me roulai encore davantage en rond, geignant d’une voix lamentable, et le regardant par en dessous avec des yeux qui demandaient grâce. Alors, quelque peu apitoyé, il lâcha le bâton dont il me menaçait, et, comme il tenait absolument à débarrasser sa boutique de ma présence, il prit un de ces admirables morceaux odorants de pieds cuits, et, le tenant au bout des doigts de façon à me le montrer ostensiblement, il sortit dans la rue. Et moi, ô mon seigneur, attiré par le fumet de ce bon morceau-là, je me levai de mon coin et suivis le tripier qui, dès qu’il me vit hors de sa boutique, me jeta le morceau et remonta chez lui. Et moi, aussitôt que j’eus avalé cette excellente viande, je voulus rentrer en toute hâte dans mon coin. Mais j’avais calculé sans mon hôte, le vendeur de têtes, qui, prévoyant en effet mon mouvement, se tenait d’un air impitoyable sur le seuil, le terrible bâton noueux à la main. Et moi, en posture de suppliant, je le regardai en remuant la queue, de manière à lui bien marquer que je l’im-