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les rencontres d’al-rachid… (la jument…)
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se dirigeant avec une sûreté remarquable, comme si elle était née parmi nous et avait grandi dans nos quartiers. Et moi je la suivais de loin au vacillement de sa chevelure, qui fuyait derrière elle sinistrement dans la nuit. Et elle arriva aux dernières maisons, et traversa les portes de la ville, et pénétra dans les champs inhabités qui servent depuis des centaines d’années de demeure aux morts. Et elle laissa derrière elle le premier cimetière, dont les tombes étaient excessivement anciennes, et se hâta vers celui où l’on continuait à enterrer journellement. Et moi je pensai : « Sûrement, elle doit avoir ici une amie ou une sœur morte, de celles qui sont venues avec elle des pays étrangers. Et elle aime à remplir vis-à-vis d’elle ses devoirs, pendant la nuit, à cause de la solitude et du silence. » Mais je me rappelai soudain son air terrible et ses yeux enflammés, et de nouveau mon sang retourna vers mon cœur.

Et voici que d’entre les tombes une forme s’éleva dont je ne pouvais encore deviner l’espèce, et qui vint à la rencontre de mon épouse. Et à l’horreur de sa physionomie et à sa tête d’hyène de proie, je reconnus en cette forme sépulcrale une goule.

Et je tombai à terre, derrière une tombe, mes jambes ayant fui sous moi en tremblant. Et je pus ainsi, grâce à cette circonstance, malgré la surprise épouvantable où j’étais, voir la goule, qui ne me voyait pas, s’approcher de mon épouse et la prendre par la main, pour l’emmener vers le bord d’une fosse. Et elles s’assirent toutes deux, l’une en face de l’autre, sur le bord de cette fosse. Et la goule se baissa vers le sol, et se releva en tenant entre ses