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les mille nuits et une nuit

compatissant prit le papier des mains d’Attaf, et il entra dans la salle où se tenait le grand-vizir Giafar le Barmécide, au milieu de ses officiers, de ses parents et de ses amis, assis les uns à sa droite et les autres à sa gauche. Et tous buvaient et récitaient des vers, et se réjouissaient de la musique des luths et des chants délicieux. Et Giafar le vizir, la coupe en main, disait à ceux qui l’entouraient : « Ô vous tous qui êtes assemblés, l’absence des yeux n’empêche pas la présence dans le cœur. Et rien ne peut me retenir de penser à mon frère Attaf et de parler de lui. C’est l’homme le plus magnifique de son temps et de son âge, Il m’a fait présent de chevaux, de jeunes esclaves blancs et noirs, de jeunes filles, et de belles étoffes, et de choses somptueuses, en assez grande quantité pour constituer la dot et le douaire de mon épouse. Et s’il n’eût pas agi de la sorte, j’eusse était certainement abîmé et perdu sans recours. Il a été mon bienfaiteur, sans savoir qui j’étais, et généreux sans aucune pensée de profit ou d’intérêt ! »

Lorsque l’excellent serviteur eut entendu ces paroles de son maître, il se réjouit en son âme, et s’avança et pencha son cou et sa tête devant lui, et lui présenta le papier. Et Giafar le prit et, l’ayant lu, il fut dans un tel état de bouleversement qu’il parut comme un homme qui aurait bu du poison. Et il ne sut plus ce qu’il faisait ni ce qu’il disait. Et il tomba de toute sa hauteur sur le visage, en tenant encore à la main la coupe de cristal et le papier. Et la coupe se brisa en mille morceaux, et le blessa au front, profondément. Et son sang coula, et le papier s’échappa de sa main.