Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 14, trad Mardrus, 1903.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
les mille nuits et une nuit

que de loin en loin, et finit même par essuyer, sans me dire un seul mot ni me regarder, la petite tige pointue et la serrer dans son étui en os. Et ce fut tout ce que je la vis faire ce matin-là. Car, le soir, au souper, ce fut exactement la même chose, ainsi d’ailleurs que le lendemain et toutes les fois que nous nous mettions devant la nappe tendue pour manger ensemble.

Lorsque je vis qu’il n’était pas possible qu’une femme pût vivre du peu de nourriture que je la voyais prendre, je ne doutai plus qu’il n’y eût là-dessous quelque mystère encore plus étrange que l’existence même de mon épouse. Et cela me fit prendre le parti de patienter encore, dans l’espérance qu’avec le temps elle s’accoutumerait à vivre avec moi comme mon âme le souhaitait. Mais je ne tardai pas à constater que mon espoir était vain, et qu’il fallait me résoudre à trouver coûte que coûte l’explication de cette manière de vivre si dissemblable de la nôtre. Or, l’occasion se présenta d’elle-même, alors que je ne l’attendais pas.

En effet, au bout de quinze jours de patience et de discrétion de ma part, je résolus de tenter une visite dans la chambre nuptiale, pour la première fois. Et donc une nuit que je croyais mon épouse endormie depuis longtemps, je me dirigeai tout doucement vers l’appartement qu’elle occupait du côté opposé au mien, et j’arrivai à la porte de sa chambre, en étouffant mes pas de crainte de la déranger dans son sommeil. Car je voulais ne pas la réveiller trop brusquement, afin de pouvoir à mon aise la contempler endormie, me la figurant, avec ses paupières