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les rencontres d’al-rachid… (la jument…)
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autrefois aux émirs d’Occident arrivés ici ou envoyés de la part du roi des Francs. Et je la fis s’asseoir à mes côtés devant les plateaux de mets, au nombre desquels il y avait, comme la veille, un plat de riz gonflé au beurre, et dont les grains se détachaient, merveilleusement cuits et parfumés à la cannelle. Mais mon épouse se comporta exactement comme la veille, ne touchant qu’au seul plat de riz, à l’exclusion de tous les autres mets, et piquant les grains un à un avec le cure-oreille, lentement, pour les porter à sa bouche.

Et moi, encore plus surpris que la veille de cette manière de manger, je pensai : « Par Allah ! où a-t-elle bien pu apprendre à manger le riz de cette manière ? Peut-être que c’est dans sa famille, au milieu de son pays. Ou bien fait-elle ainsi parce qu’elle est une petite mangeuse ? Ou bien veut-elle compter les grains de riz afin de n’en pas manger plus une fois que l’autre ? Mais si elle agit de la sorte par esprit d’épargne et pour m’apprendre l’économie et m’enseigner à ne pas être prodigue, par Allah ! elle se trompe, car nous n’avons rien à craindre de ce côté-là, et ce n’est point par cet endroit-là que nous pourrons nous ruiner jamais. Car nous avons, grâce au Rétributeur, de quoi vivre dans une grande aisance et sans nous priver ni du nécessaire ni du superflu. »

Mais mon épouse, qu’elle eût compris ou non mes pensées et ma perplexité, ne continua pas moins à manger toujours de cette manière incompréhensible. Et même, comme si elle eût voulu me faire encore plus de peine, elle ne piqua plus les grains de riz