Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 14, trad Mardrus, 1903.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
les rencontres d’al-rachid… (la jument…)
25

en est ainsi pour les besoins de son corps, que doit-il en être pour les besoins de son âme ? » Et je résolus de me consacrer entièrement à essayer de deviner son âme qui me paraissait impénétrable.

Et je m’imaginai, ce soir-là, pour tâcher de me donner à moi-même une explication plausible de sa manière d’agir, qu’elle n’avait pas l’habitude de manger avec les hommes, encore moins avec un mari, devant qui on lui avait peut-être, enseigné qu’elle devait avoir de la retenue. Et je me dis : « Oui, c’est cela même ! Elle a poussé trop loin la retenue, parce qu’elle est simple et naïve. Ou peut-être qu’elle a déjà dîné ! Ou bien, si elle ne l’a pas encore fait, elle se réserve de manger seule et en liberté. »

Et aussitôt je me levai, et la pris par la main avec des précautions infinies, et la conduisis à la chambre que je lui avais fait préparer. Et là, je la laissai seule, afin qu’elle fût libre d’agir à sa guise. Et je me retirai discrètement.

Et, pour cette nuit-là, je ne voulus point, de peur de la déranger ou de lui paraître importun, entrer dans la chambre de mon épouse, comme font d’ordinaire les hommes lors de la nuit nuptiale ; mais, au contraire, je pensai que je m’attirerais par ma discrétion les bonnes grâces de mon épouse, et que je lui prouverais par là que les hommes de nos pays sont loin d’être des brutaux et des gens dénués de savoir-vivre, et qu’ils savent, quand il le faut, se montrer délicats et réservés. Pourtant, par ta vie, ô émir des Croyants ! ce n’est point que l’envie m’ait manqué cette nuit-là de pénétrer auprès de mon