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les mille nuits et une nuit

cemme nous le faisons d’ordinaire, en me servant de mes doigts.

Mais cette vue, au lieu d’inviter l’âme de mon épouse à l’appétit, dut lui occasionner, à n’en pas douter, un sentiment voisin de la répulsion, sinon de la nausée. Et, loin de suivre mon exemple, elle détourna la tête, et regarda autour d’elle comme pour chercher quelque chose. Puis, après un long moment d’hésitation, comme elle voyait que mon regard la suppliait de toucher aux mets, elle prit dans son sein un mince étui taillé dans un os d’enfant, et en tira une très fine tige de chiendent, semblable à ces tiges menues dont nous nous servons comme cure-oreilles. Et elle tint délicatement entre deux doigts cette petite tige pointue et se mit à en piquer le riz lentement et à le porter plus lentement encore et grain par grain à ses lèvres. Et, entre chacune de ces bouchées minuscules, elle laissait s’écouler un assez long intervalle de temps. De telle sorte que j’avais déjà achevé mon repas, qu’elle n’avait pas encore pris plus d’une douzaine de grains de riz, de cette manière. Et ce fut tout ce qu’elle voulut manger ce soir-là. Et je crus comprendre, à un geste vague, qu’elle était rassasiée. Et je ne voulus point augmenter sa gêne ou l’effaroucher en insistant pour lui faire prendre quelque autre nourriture.

Et cela ne fit que me raffermir dans la croyance que mon épouse étrangère était un être différent des habitants de nos pays. Et je pensai en moi-même : « Comment ne serait-elle pas différente des femmes d’ici, cette adolescente qui n’a besoin, pour se nourrir, que de la pitance d’un petit oiseau ? Et s’il