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les rencontres d’al-rachid… (la jument…)
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cheveux vivants, ce fut comme si les crins jaunes de ses tresses étaient tirés de quelque métal glacé, ou comme si ma main, sur cette toison, avait passé sur de la soie trempée dans la neige fondante. Et je ne doutai pas qu’elle ne fût tout entière nativement tissée en filets de filigrane d’or.

Et je pensai en mon âme à la toute puissance infinie du Maître des créatures, qui, sous nos climats, faisait don à nos adolescentes de leurs chevelures noires et chaudes comme l’aile de la nuit, et couronnait le front des filles claires du Nord de cette couronne de flamme glacée.

Et je ne pus, ô mon seigneur, m’empêcher d’être ému d’une émotion mêlée d’effarement à la fois et de délices, en me sachant l’époux d’une créature si rare et si différente des femmes de nos climats. Et j’eus même le sentiment qu’elle n’était ni de mon sang ni de notre commune extraction. Et je ne fus pas éloigné de lui attribuer soudain des dons surnaturels et des vertus inconnues. Et je la regardai avec admiration et stupeur.

Mais bientôt entrèrent les esclaves avec, sur leur tête, les plateaux qu’ils déposaient chargés de mets devant nous. Et je remarquai qu’aussitôt, à la vue de ces mets, s’était accentuée la gêne de mon épouse, et que des alternances de rougeur et de pâleur passaient sur ses joues de satin mat, tandis que ses yeux, fixant les objets sans les voir, se dilataient.

Et moi, attribuant tout cela à sa timidité et à son ignorance de nos usages, je voulus l’encourager à toucher aux mets servis, et je commençai par un plat de riz gonflé au beurre, dont je me mis à manger,