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les mille nuits et une nuit

langue et que je ne parlais point la sienne, j’évitai de la fatiguer de questions qui devaient rester sans réponse. Et je remerciai le Donateur qui avait conduit dans ma demeure une femme dont la vue à elle seule m’était déjà un enchantement.

Mais, le soir même de son entrée à la maison, je ne fus point sans remarquer combien ses allures étaient singulières. Car, dès que tomba la nuit, ses yeux bleus se firent plus sombres, et leur regard devint, de noyé dans la douceur qu’il était pendant le jour, étincelant comme d’un feu intérieur. Et elle fut en proie à une sorte d’exaltation qui se traduisait sur ses traits par une pâleur plus grande encore, et par un léger tremblement des lèvres. Et de temps en temps elle regardait du côté de la porte, comme si elle avait envie de sortir prendre l’air. Mais comme l’heure nocturne n’était guère favorable à la promenade, et que d’ailleurs il était temps de prendre notre repas du soir, je m’assis et la fis s’asseoir à mes côtés.

Et, en attendant qu’on nous servît le repas, je voulus profiter de notre tête-à-tête pour lui faire comprendre combien sa venue m’était une bénédiction, et quels tendres sentiments germaient dans mon cœur à sa vue. Et doucement je la caressai, et essayai de la câliner et d’apprivoiser son âme étrangère. Et doucement je lui pris la main et la portai à mes lèvres et à mon cœur. Et, avec autant de soin que si je touchais quelque très ancienne étoffe prête à se désagréger au moindre contact, je passai légèrement mes doigts sur la soie tentante de sa chevelure. Et ce que j’éprouvai à ce contact, ô mon seigneur, je ne l’oublierai plus. Au lieu de sentir la tiédeur des