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les séances… (faïrouz et son épouse)
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venons te visiter. » Et elle sourit, et répondit : « Je me réfugie en Allah de cette visite-là ! Car, en vérité, je n’attends d’elle rien de bon ! » Mais le roi dit : « Ô désir des cœurs, je suis le maître de ton mari, et je pense que tu ne me connais pas ! » Et elle répondit : « Certainement, je te connais, ô mon seigneur et mon maître, et je connais ton projet et je sais ce que tu veux, et que tu es le maître de mon époux. Et, pour te prouver que je comprends fort bien ton affaire, je te conseille, ô mon souverain, d’avoir l’âme assez haut placée pour t’appliquer à toi-même ces vers du poète :

« Je ne foulerai point le chemin qui conduit à la fontaine, si d’autres passants peuvent poser leurs lèvres sur la pierre humide qui me désaltérerait.

Quand le bourdonnant essaim des mouches immondes s’abat sur mes plateaux, quelle que soit la faim qui me torture, je détourne aussitôt ma main des mets préparés pour mon plaisir.

Les lions n’évitent-ils par le chemin qui conduit au bord de l’eau, quand les chiens sont libres de laper au même endroit ? »

Et, ayant récité ces vers, l’épouse de Faïrouz ajouta : « Et toi, ô roi, boiras-tu à la fontaine où d’autres avant toi ont posé leurs lèvres ? » Et le roi, entendant ces paroles, la regarda avec stupéfaction. Et il fut si émotionné qu’il tourna le dos, sans trouver un mot de réponse ; et, dans sa hâte de fuir, il oublia l’une de ses sandales dans la maison. Et tel fut son cas.