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les mille nuits et une nuit

avec leur allure de princesses, et avec leurs six paires d’yeux babyloniens, qui paraissaient dans toute leur beauté seuls hors du voile de visage.

Et le fils du sultan, chaque matin, les voyant arriver, leur criait de sa fenêtre, d’une voix provocante : « Le salam sur les filles du vendeur de pois chiches ! Le salam sur les trois lettres droites de l’alphabet ! » Et la grande et la moyenne répondaient toujours, par un léger sourire de leurs yeux, au salut du fils du sultan ; mais la petite ne répondait par rien du tout, et elle passait son chemin sans même lever la tête. Mais si le fils du sultan insistait, en demandant par exemple des nouvelles des pois chiches et du prix en cours des pois chiches et de la vente des pois chiches, et de la bonté ou de la méchanceté des pois chiches, et de la santé du vendeur de pois chiches, alors c’était la petite qui, toute seule, répondait, sans même prendre la peine de le dévisager : « Et quel lien y a-t-il entre les pois et toi, ô visage de poix ? » Et toutes trois éclataient de rire et s’en allaient en leur voie.

Or, le fils du sultan, qui était passionnément épris de la plus jeune d’entre les filles du marchand de pois chiches, la petite Zeina, ne cessait de se désoler de son ironie, de son dédain et de son peu d’empressement à répondre à ses désirs. Et, un jour qu’elle s’était moquée de lui plus qu’à l’ordinaire, en réponse à ses questions, il vit qu’il n’obtiendrait jamais rien d’elle par la galanterie, et résolut de se venger en l’humiliant et en la punissant dans la personne de son père. Car il savait que la jeune Zeina aimait son père à l’extrême limite de l’affection. Et il se dit :