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les mille nuits et une nuit

à la limite de la colère et de l’indignation, et s’écria : « Que dis-tu là, ô Schater-Môhammad ? Et te moques-tu de ton vieux père ? Moi, toucher maintenant aux mets préparés par la tortue, quand ceux préparés par les doigts des femmes sont déjà si horribles et si épouvantables ? Je vois bien que vous avez juré, tous trois, de faire éclater mon foie, et de me faire boire la mort d’une gorgée. » Mais le jeune prince se jeta aux pieds de son père, et lui jura, sur sa vie et sur la vérité sacrée de la foi, que le troisième plateau lui ferait oublier ses tribulations, et qu’il consentait, lui Schater-Môhammad, à avaler tous les mets s’ils n’étaient pas du goût de son père. Et il supplia et pria et insista et intercéda avec tant de ferveur et d’humilité en faveur du plateau, que le roi finit par se laisser fléchir, et fit signe à l’un des esclaves de lever le couvercle du troisième plateau, tout en prononçant la formule : « Je me réfugie en Allah le Protecteur ! »

Mais voici que, le couvercle enlevé, il se dégagea du plateau de la tortue un fumet composé des plus suaves parfums de cuisine, et si exquis et si délicieusement pénétrant que, sur le moment même, se dilatèrent les éventails du cœur du sultan et s’épanouirent les éventails de ses poumons, et frémirent les éventails de ses narines, et revint son appétit depuis si longtemps disparu, et s’ouvrirent ses yeux et se clarifia sa vue. Et rose devint son teint et reposé l’air de son visage. Et il se mit à manger sans discontinuer, pendant une heure de temps. Après quoi il but d’un excellent sorbet au musc et à la neige hachée, et, de plaisir, il rota à plusieurs reprises