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les mille nuits et une nuit

coin intérieur de l’œil, elle servirait d’enseignement à quiconque la lirait d’une âme attentive.

Et le jeune homme se tut un instant, pour ramener vers son esprit tous ses souvenirs, et reprit :

Lorsque mon père mourut, il me laissa ce qu’Allah m’avait écrit en héritage. Et je constatai que les bienfaits d’Allah sur ma tête étaient plus nombreux et plus choisis que mon âme ne l’eût jamais souhaité. Et je vis, en outre, que, du jour au lendemain, je me trouvais être l’homme le plus riche et le plus considéré de mon quartier. Mais ma nouvelle vie, loin de me donner de la suffisance et de l’orgueil, ne fit que développer en moi mes goûts très accentués pour le calme et la solitude. Et je continuai à vivre en célibataire, me félicitant, tous les matins d’Allah, de n’avoir point de soucis de famille ni de responsabilités. Et tous les soirs je me disais : « Ya Sidi Némân, que ta vie est modeste et tranquille ! Et que la solitude du célibat est délectable ! »

Mais, un jour d’entre les jours, ô mon seigneur, je me réveillai avec le désir violent et incompréhensible de changer soudain de vie. Et ce désir entra en mon âme sous la forme du mariage. Et je me levai à l’heure et à l’instant, mû par les mouvements intérieurs de mon cœur, en me disant : « N’as-tu pas honte, ya Sidi Némân, de vivre de la sorte, seul dans cette demeure, comme un chacal dans sa tanière, sans aucune présence douce à tes côtés, sans un corps toujours frais de femme pour te rafraîchir les yeux, et sans une affection qui te fasse sentir que tu