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les séances… (histoire du bouc…)
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elle fît annoncer par les crieurs publics, dans tout l’empire, que l’entrée du hammam serait gratuite pour toutes les femmes qui voudraient venir s’y baigner, mais à condition que chaque bénéficiaire racontât à la fille du roi, pour la distraire, le plus grand malheur ou la plus grande tristesse qui avait affligé sa vie. Quant à celles qui n’avaient rien de semblable à lui raconter, elles n’avaient point la permission d’entrer au hammam.

Aussi ne tardèrent pas à affluer au hammam de la princesse toutes les affligées du royaume, toutes les abandonnées du sort, les malheureuses de toutes les couleurs, les misérables de toutes les espèces, celles qui étaient veuves et celles qui étaient divorcées, et toutes celles qui avaient été blessées, d’une manière ou d’une autre, par les vicissitudes du temps ou les trahisons de la vie. Et chacune d’elles, avant son bain, racontait à la fille du roi ce qu’elle avait éprouvé de plus attristant dans sa vie. Il y en eut qui racontèrent le nombre de coups dont les gratifiait leur époux, et il y en eut qui versèrent des larmes en faisant le récit de leur veuvage, tandis que d’autres disaient leur amertume de voir leur époux leur préférer quelque rivale affreuse et vieille ou quelque négresse à lèvres de chameau ; et il y en eut même qui trouvèrent des paroles émouvantes pour faire le récit de la mort d’un fils unique ou d’un mari très aimé. Et une année s’écoula de la sorte dans le hammam au milieu des histoires noires et des lamentations. Mais la princesse ne trouva pas une femme, parmi les milliers qu’elle avait vues, dont le malheur pût être comparé au sien en inten-