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les mille nuits et une nuit

de ne jamais révéler à personne le pouvoir que je possède de me changer à ma guise. Car si jamais quelqu’un se doutait seulement que je suis tantôt bouc et tantôt être humain, à l’instant je disparaîtrais, et il te serait difficile de retrouver mes traces. » Et la jeune fille lui promit la chose, en toute certitude, et ajouta : « Je préfère mourir que de perdre en toi un si bel époux ! »

Alors, n’ayant plus de motifs plausibles de se tenir en suspicion, ils se laissèrent aller à leur penchant naturel. Et ils s’aimèrent d’un grand amour, et passèrent, cette nuit-là, une nuit de bénédiction, lèvres sur lèvres et jambes sur jambes, dans les délices pures et les échanges charmants. Et ils ne cessèrent leurs ébats et leurs travaux qu’avec la naissance du matin. Et l’adolescent se leva alors d’entre les blancheurs de la jeune fille, et reprit sa forme première de bouc barbu, avec cornes, sabots fourchus, marchandises énormes et tout ce qui s’ensuit. Et de tout ce qui avait eu lieu, il ne resta rien, sinon quelques taches de sang sur la serviette de l’honneur.

Or, le matin, quand la mère de la princesse fut entrée, selon l’usage, pour demander des nouvelles de sa fille et examiner avec son propre œil la serviette de l’honneur, elle fut à la limite de la stupeur en constatant que l’honneur de la jeune fille était apparent sur la serviette, et que la chose accomplie était péremptoire. Et elle vit que sa fille était fraîche et heureuse, et qu’à ses pieds, sur le tapis, le bouc était assis et ruminait sagement. Et, à cette vue, elle courut chercher le sultan, son