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les mille nuits et une nuit

cou ? Et si la mienne est attachée à ce bouc, pourquoi m’empêcher de devenir son épouse ? » Et, de leur côté, ses deux sœurs, qui étaient en secret fort jalouses d’elle parce qu’elle était la plus jeune et la plus jolie, unirent leurs protestations aux siennes, parce que la réussite de son mariage avec le bouc les vengeait au delà de leurs souhaits. Et, à elles trois, elles firent tant et tant, que le sultan, leur père, finit par donner son consentement à un mariage si étrange et si extraordinaire.

Et aussitôt l’ordre fut donné pour que les noces des trois princesses fussent faites avec toute la pompe désirable et selon le cérémonial d’usage. Et toute la ville fut illuminée et pavoisée, pendant quarante jours et quarante nuits, durant lesquels furent donnés de grandes réjouissances et de beaux festins, avec danses, chants et jeux d’instruments. Et la joie ne cessa de régner dans tous les cœurs, et elle eut été complète si chacun des invités n’eût été quelque peu préoccupé des résultats d’une telle union, entre une princesse vierge et un bouc, dont l’apparence était celle d’un bouc terrible entre tous les boucs. Et, pendant ces jours préparatoires de la nuit nuptiale, le sultan et son épouse, ainsi que les femmes des vizirs et des dignitaires fatiguèrent leur langue à vouloir dissuader la jeune fille de la consommation de son mariage avec l’animal à odeur répugnante, à œil allumé et à outil effrayant. Mais à tous et à toutes, elle répondait chaque fois par ces mots : « Chacun porte sa destinée attachée à son cou, et si la mienne est d’être l’épouse du bouc, nul ne saurait s’y opposer. »