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les mille nuits et une nuit

les émirs et les fils de rois. Et il me regarda, en me faisant, avec la main seulement, le salut de bienséance, sans prononcer les paroles consacrées du salam usuel entre musulmans. Et moi, lui ayant rendu, de la même manière, son salut, je pensai : « Quel dommage que ce merveilleux jeune homme soit un mécréant ! » Et, malgré tout, je l’invitai à se reposer et à faire boire son cheval, en lui disant : « Seigneur, que la fraîcheur du soir te soit propice, et que cette eau soit délicieuse à la fatigue de ton noble coursier. » Et il sourit, à ces paroles, et, sautant à terre, il attacha son cheval par la bride, près de l’œil d’eau, s’approcha de moi et, soudain, m’entoura de ses bras et me baisa avec une ardeur singulière. Et moi, surpris à la fois et charmé, je le regardai plus attentivement et poussai un grand cri, en reconnaissant en cet adolescent ma bien-aimée Suleika que je croyais sous la pierre du tombeau.

Et maintenant, ô mon seigneur, comment pourrais-je te dire le bonheur qui remplit mon âme, en retrouvant Suleika ? Ma langue deviendrait plutôt poilue, avant que je puisse te donner une idée de l’intensité de la joie qui remplit nos cœurs, en ces instants bienheureux. Qu’il me suffise de te dire qu’après que nous fûmes longtemps restés dans les bras l’un de l’autre, Suleika me mit au courant de tout ce qui s’était passé, pendant tous ces jours de ma douleur récente. Et je compris alors que, dénoncée au roi, son père, elle s’était vue en butte à une grande surveillance, et qu’alors, préférant tout à la vie qu’on lui faisait, elle avait simulé la mort, et, grâce à la complicité de sa favorite, avait pu s’é-