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histoire de la princesse suleika
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grandes porcelaines, dont la vue à elle seule était déjà un rafraîchissement. Et elles nous servirent les porcelaines qui contenaient des sorbets à la neige, du lait caillé, des confitures de cédrat, des tranches de concombre et des limons. Et la princesse Suleika se servit la première, et, avec la même cuiller d’or qu’elle avait portée à ses lèvres, elle m’offrit un peu de confiture et une tranche de cédrat, puis une nouvelle cuillerée de lait caillé. Puis la même cuiller circula plusieurs fois de main en main, si bien que toutes les jeunes filles se servirent de ces excellentes choses à différentes reprises, jusqu’à ce qu’il n’y eut plus rien dans les porcelaines. Et alors les esclaves nous présentèrent de fort belle eau dans des coupes de cristal.

Et l’entretien ne manqua pas de devenir aussi vif que si nous avions bu tous les ferments des vins. Et je m’étonnais de la hardiesse des discours sur les lèvres de ces jeunes filles, qui riaient aux éclats chaque fois que l’une d’elles avançait une plaisanterie forte et consistante sur le compte de l’enfant de son père, dont la vue les préoccupait outre mesure. Et la charmante Kaïria, contre qui avait été dirigé mon attentat, puisqu’il y avait attentat, ne me gardait plus aucune rancune, et s’était placée vis-à-vis de moi. Et elle me regardait en souriant, et me faisait comprendre par le langage des yeux qu’elle me pardonnait ma vivacité du jardin. Et moi, de mon côté, je levais les yeux sur elle de temps en temps, puis je les baissais vivement dès que je remarquais qu’elle avait la vue sur moi ; car, malgré tous les efforts que je faisais pour faire paraître quelque