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les mille nuits et une nuit

rable. Toutefois, ô mon enfant, nul d’entre les fils d’Adam ne peut savoir ce que lui réserve le sort, et nulle précaution ne peut prévaloir contre les arrêts du Livre de la Destinée. Si donc, ô mon fils, un jour vient où le temps se tourne contre toi et que ta vie devienne noire, tu n’as qu’à aller dans le jardin de cette maison, et à te suspendre à la branche maîtresse du vieil arbre que tu connais. Et cela te délivrera ! »

Et mon père, ayant prononcé ces paroles étranges, mourut dans la paix du Seigneur, sans avoir eu le temps de m’en dire plus long ou de revenir sur un tel conseil. Et moi, pendant toute la durée des funérailles et des jours de deuil, je ne manquai pas de réfléchir sur ces paroles si singulières de la part de l’homme sage et craignant Allah qu’avait été mon père durant toute sa vie. Et je me demandais sans cesse : « Comment se fait-il que mon père m’ait conseillé, contre les préceptes du Saint Livre, de me donner la mort par pendaison, en cas de revers, plutôt que de me fier à la sollicitude du Maître des créatures ? C’est là une chose qui dépasse l’entendement. »

Puis, peu à peu, le souvenir de ces paroles s’effaça en moi, et, comme j’aimais le plaisir et la dépense, je ne tardai pas, dès que je me vis à la tête de l’héritage considérable qui était mon lot, à me livrer à tous mes penchants. Et je vécus plusieurs années au sein de la folie et des prodigalités, si bien que je finis par manger tout mon patrimoine, et qu’un jour je me réveillai nu comme au sortir du sein de ma mère. Et je me dis, en me mordant les doigts : « Ô