Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 14, trad Mardrus, 1903.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
les mille nuits et une nuit

œil gauche. Et je lui dis : « Par Allah ! ô derviche, si tu ne veux pas que je me sépare de toi le cœur mal satisfait, et cela pour une chose si futile, après tout ce que tu m’as accordé d’important, tu n’as qu’à m’enduire l’œil droit avec cette pommade ; car moi je ne saurais pas. Et d’ailleurs je ne te lâcherai qu’à cette condition. »

Alors le derviche devint bien pâle, et son visage prit un air de dureté que je ne lui connaissais pas, et il me dit : « Tu te rends aveugle de tes propres mains. » Et il prit un peu de la pommade et me l’appliqua autour de l’œil droit et sur la paupière droite. Et je ne vis plus que ténèbres avec mes deux yeux, et je devins l’aveugle que tu me vois, ô émir des Croyants !

Et moi, en me sentant dans cet état affreux, je rentrai soudain en moi-même et m’écriai, en tendant les bras vers le derviche : « Sauve-moi de l’aveuglement, ô mon frère ! » mais je n’obtins aucune réponse. Et il fut sourd à mes supplications et à mes cris, et je l’entendis qui mettait les chameaux en marche, et qui s’éloignait, emportant ce qui avait été mon lot et ma destinée.

Alors moi, je me laissai tomber sur le sol, et restai anéanti pendant un long espace de temps. Et je serais certainement mort de douleur et de confusion, à cette place, si une caravane qui, le lendemain, revenait de Bassra ne m’eût recueilli et ramené à Baghdad.

Et depuis lors, après avoir vu passer à portée de ma main la fortune et la puissance, je me vis réduit à cet état de mendiant sur les routes de la généro-