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les rencontres… (l’aveugle…)
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de duplicité, et qu’il n’a été si coulant avec moi et si affable que pour me tromper à la fin. Car il n’est pas possible que la même pommade produise deux effets si contraires, dans les mêmes conditions, simplement par suite de la différence d’endroit. » Et je dis au derviche, en riant : « Hé, ouallah ! ô père de l’astuce, je crois bien que tu te ris de moi présentement ! Car il n’est pas possible qu’une même pommade produise des effets si opposés l’un à l’autre. Mais je pense plutôt, puisque tu ne l’as pas essayée sur toi-même, qu’appliquée sur l’œil droit, cette pommade aura la vertu de mettre à ma disposition les trésors que m’aura montrés mon œil gauche. Qu’en dis-tu ? Tu peux parler sans réticence ! Et d’ailleurs, que tu me donnes tort ou raison, je veux expérimenter sur mon propre œil l’effet droitier de cette pommade, afin de n’être plus dans l’incertitude. Je te prie donc de m’en appliquer sur l’œil droit, sans retard ; car il faut que je me mette en route avant le coucher du soleil. »

Mais, pour la première fois depuis notre rencontre, le derviche eut un mouvement d’impatience, et me dit : « Baba-Abdallah, ta demande est déraisonnable et nuisible, et je ne puis me résoudre à te faire du mal, après t’avoir fait du bien. Ne m’oblige donc pas, par ton opiniâtreté, à t’obéir pour une chose dont tu te repentirais toute ta vie ! » Et il ajouta : « Séparons-nous donc en frères, et que chacun aille en sa voie. » Mais moi, ô mon seigneur, je ne le lâchai pas, et fus de plus en plus persuadé que les difficultés qu’il faisait n’avaient pour but que m’empêcher d’avoir sous ma main, en ma pleine possession, les trésors que je pouvais voir avec mon