Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 14, trad Mardrus, 1903.djvu/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
les mille nuits et une nuit

point se faire trop prier, et, toujours amène et tranquille, il prit un peu de la pommade sur la pulpe de son doigt et me l’appliqua autour de mon œil gauche et sur ma paupière gauche, en me disant : « Ouvre maintenant cet œil gauche, et ferme le droit ! »

Et j’ouvris mon œil gauche, l’empommadé, ô émir des Croyants, et je fermai mon œil droit. Et aussitôt toutes les choses visibles à mes yeux habituels disparurent, pour faire place à des plans superposés de grottes souterraines et marines, de troncs d’arbres géants creusés à leur base, de chambres creusées dans le roc, et de cachettes de toutes sortes. Et tout cela était rempli de trésors en pierreries, en orfèvreries, en joailleries, en bijouteries, en argenteries, de toutes les couleurs et de toutes les formes. Et je vis les métaux dans leurs mines, l’argent vierge et l’or naturel, les pierres cristallisées dans leur gangue et les filons précieux dont la terre est enceinte. Et je ne cessai de regarder et de m’émerveiller que lorsque je sentis que mon œil droit, que j’étais obligé de tenir fermé, était fatigué et demandait à s’ouvrir. Alors je l’ouvris, et aussitôt les objets du paysage d’alentour vinrent d’eux-mêmes se remettre à leur place habituelle, et tous les plans dus à l’effet de la pommade magique disparurent en s’éloignant.

Et, de la sorte, m’étant assuré de la vérité au sujet de l’effet réel de cette pommade, au cas où elle serait appliquée sur l’œil gauche, je ne pus m’empêcher d’avoir des doutes au sujet de l’effet de son application sur l’œil droit. Et je me dis en moi-même : « Je crois bien que le derviche est plein d’astuce et