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les mille nuits et une nuit

me revenaient en partage, puis les vingt autres que le derviche me concédait. Et, après l’avoir remercié pour ses bons offices, je pris congé de lui, et me mis en route du côté de Baghdad, tandis qu’il poussait ses vingt chameaux du côté de Bassra.

Or, je n’avais pas fait quelques pas sur la route de Baghdad, que le Cheitân souffla l’envie et l’ingratitude dans mon cœur. Et je me mis à déplorer la perte de mes vingt chameaux, et encore plus les richesses qu’ils avaient en charge sur leur dos. Et je me dis : « Pourquoi me frustre-t-il de mes vingt chameaux, ce derviche maudit, alors qu’il est le maître du trésor et qu’il peut en tirer toutes les richesses qu’il veut ? » Et, du coup, j’arrêtai mes bêtes, et je courus après le derviche, en l’appelant de toutes mes forces, et en lui faisant signe d’arrêter ses bêtes et de m’attendre. Et il entendit ma voix et s’arrêta. Et, lorsque je l’eus rejoint, je lui dis : « Ô mon frère le derviche ! je ne t’ai pas eu plus tôt quitté que j’ai été préoccupé grandement à ton sujet, à cause de l’intérêt que je prends à ton repos. Et je n’ai point voulu me résoudre à me séparer de toi sans te prier de considérer encore une fois combien vingt chameaux chargés sont difficiles à mener, surtout quand on est, comme toi, ô mon frère derviche, un homme qui n’est pas accoutumé à ce métier et à ce genre d’occupation. Crois-moi, tu te trouveras beaucoup mieux si tu ne gardes avec toi que, tout au plus, dix chameaux, en te soulageant des dix autres sur un homme comme moi, à qui il ne coûte pas plus de prendre soin de cent que d’un seul ! » Et mes paroles produisirent l’effet que je sou-