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les mille nuits et une nuit

il voulait poursuivre son chemin, et lui dit : « Ô généreux donateur, qu’Allah te rende cet acte de ton âme pitoyable par les plus choisies de Ses bénédictions. Mais je te supplie, avant de t’en aller, de ne point me refuser la grâce que je te demande. Lève ton bras et donne-moi un coup de poing ou un soufflet sur le lobe de mon oreille. » Et, ayant ainsi parlé, il se dessaisit de la main qu’il tenait, afin que l’étranger pût lui appliquer le soufflet en question. Toutefois il prit soin, de crainte qu’il ne passât outre sans lui donner satisfaction, de le saisir par le pan de sa longue robe.

En voyant et en entendant cela, le khalifat devint fort perplexe, et dit à l’aveugle : « Ô oncle, qu’Allah me préserve d’obéir à ton injonction ! Car celui qui fait une aumône pour Allah ne doit point en effacer le mérite en maltraitant celui qui bénéficie de cette aumône. Et le mauvais traitement auquel tu m’enjoins de te soumettre est une action indigne d’un Croyant. »

Et, ayant ainsi parlé, il fit un effort pour faire lâcher prise à l’aveugle. Mais il avait calculé sans la vigilance de l’aveugle qui, prévoyant le mouvement du khalifat, fit de son côté un effort bien plus grand pour ne point le lâcher. Et il lui dit : « Ô mon généreux maître, pardonne-moi mon importunité et la hardiesse de mon procédé. Et laisse-moi t’implorer encore de me donner ce soufflet sur le lobe de mon oreille. Sinon, j’aime mieux que tu reprennes ton aumône. Car je ne puis l’accepter qu’à cette seule condition, sans me parjurer devant Allah et contrevenir au serment que j’ai fait devant la face de Celui qui te voit et me voit. » Puis il ajouta : « Si tu savais,