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les rencontres… (l’aveugle…)
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parler de ce trésor, et que je pouvais garder pour moi seul le secret. Laisse donc de côté l’avidité, et contente-toi de ce qu’Allah t’a donné, sans chercher à revenir sur notre entente ! »

Alors moi, bien que convaincu de la mauvaise qualité de mes prétentions et certain de mon mauvais droit, je changeai la question de face et de forme, et je répondis : « Ô derviche, tu m’as convaincu de mes torts. Mais permets-moi de te rappeler que tu es un excellent derviche qui ignore l’art de conduire les chameaux, et ne sait que servir le Très-Haut. Tu oublies donc à quel embarras tu t’exposes en voulant conduire tant de chameaux accoutumés à la voix de leur maître. Si tu m’en crois, tu en prendras le moins possible, quitte à revenir plus tard au trésor les recharger de pierreries, puisque tu peux ouvrir et fermer à ta guise l’entrée de la grotte. Écoute donc mon conseil, et n’expose pas ton âme à des ennuis et à des préoccupations auxquels elle n’est pas habituée. » Et le derviche, comme s’il ne se voyait pas en état de pouvoir me rien refuser, répondit : « J’avoue, ô Baba-Abdallah que je n’avais point d’abord réfléchi à ce que tu viens de me rappeler ; et me voici déjà extrêmement inquiet sur les suites de ce voyage, seul avec tous ces chameaux. Choisis donc, sur les quarante chameaux qui me reviennent, les vingt qu’il te plaira de choisir, et laisse-moi les vingt qui restent. Puis va sous la sauvegarde d’Allah ! »

Et moi, fort surpris de trouver chez le derviche une si grande facilité à se laisser persuader, je me hâtai néanmoins de choisir d’abord les quarante qui