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les mille nuits et une nuit

le trésor, et qui l’a ouvert, grâce à sa science de la sorcellerie, que le Livre Saint réprouve ! Mais, sans mes chameaux, qu’aurait-il pu faire ? Et même peut-être que sans ma présence la chose n’eût pas réussi, puisque le trésor doit certainement être écrit en mon nom, sur ma chance et ma destinée ! Je pense donc qu’en lui donnant quarante chameaux chargés de ces pierreries, je suis frustré de mon gain, moi qui me suis fatigué à charger les sacs, tandis qu’il se reposait en souriant ; et que je suis, en somme, le maître des chameaux. Il ne faut donc pas que je le laisse agir à sa guise, lors de ce partage. Et je saurai bien lui faire entendre raison. »

Aussi quand vint le moment du partage, je dis au derviche : « Ô saint homme, toi qui, de par les principes mêmes de ta corporation, dois te soucier fort peu des biens du monde, que vas-tu faire des quarante chameaux avec leur charge, que tu me réclames bien injustement pour prix de tes indications ? » Et le derviche, loin de se scandaliser de mes paroles ou de se fâcher, comme je m’y attendais, me répondit d’une voix calme : « Baba-Abdallah, tu es dans la Vérité quand tu dis que je dois être un homme qui se soucie fort peu des biens de ce monde. Aussi n’est-ce point pour moi que je réclame la part qui doit me revenir selon un partage équitable, mais c’est pour la distribuer, à travers le monde, à tous les pauvres et à tous les déshérités. Quant à ce que tu appelles de l’injustice, songe, ya Baba-Abdallah, qu’avec cent fois moins que ce que je t’ai donné tu serais déjà le plus riche d’entre les habitants de Baghdad. Et tu oublies que rien ne m’obligeait à te