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les mille nuits et une nuit

Et, là-dedans, des monceaux s’étendaient d’or monnayé et de pierreries, comme ces tas de sel qu’on voit sur le bord de la mer. Et moi, à la vue de ce trésor, je me jetai sur le premier tas d’or, avec la rapidité du faucon qui fond sur le pigeon, et je commençai par en remplir un sac dont je m’étais déjà saisi. Mais le derviche se mit à rire et me dit : « Ô pauvre, tu fais là un travail peu rémunérateur ! Ne vois-tu pas qu’en remplissant tes sacs d’or monnayé, tu les rendras trop lourds pour la charge de tes chameaux ? Remplis-les plutôt de ces pierreries en tas, que tu vois un peu plus loin, et dont une seule vaut à elle seule plus que chacun de ces monceaux d’or, tout en étant cent fois plus légère qu’une pièce de ce métal. »

Et moi je répondis : « Il n’y a point d’inconvénient, ô derviche ! » Car je vis combien juste était son observation. Et, l’un après l’autre, je remplis mes sacs de ces pierreries, et les chargeai deux par deux sur le dos de mes chameaux. Et lorsque j’eus chargé de la sorte mes quatre-vingts chameaux, le derviche qui m’avait regardé faire en souriant, sans bouger de sa place, se leva et me dit : « Il n’y a plus qu’à fermer le trésor et à nous en aller. » Et, ayant ainsi parlé, il entra dans le rocher, et je le vis qui se dirigeait vers une grande jarre en orfèvrerie qui était sur un socle en bois de sandal. Et en moi-même je me disais : « Par Allah ! quel dommage de n’avoir pas avec moi quatre-vingt mille chameaux à charger de ces pierreries-là et de ces monnaies et de ces orfèvreries, au lieu des quatre-vingts seulement qui sont ma propriété ! »