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les mille nuits et une nuit

jaunir de la sorte mon visage, je ne fus point affecté outre mesure de cette nouvelle, et j’ouvris la classe comme d’habitude, en leur criant : « Commencez, ô vauriens ! c’est l’heure du travail. » Mais voici que l’élève moniteur s’avança vers moi, avec un air fort soucieux, et me dit : « Par Allah ! ô maître, tu es bien jaune de visage aujourd’hui, et qu’Allah éloigne tout mal ! Je ferais bien la classe à ta place aujourd’hui, si tu es trop malade. » Et en même temps, tous les élèves, l’air empreint d’une grande inquiétude, me regardaient avec commisération, comme si j’étais déjà sur le point de rendre l’âme. Et moi je finis par être fort impressionné, et je dis en moi-même : « Ô un tel, tu dois certes aller très mal sans t’en rendre compte. Et les pires maladies sont celles qui entrent dans le corps subrepticement, sans que leur présence se révèle par des malaises trop marqués. » Et je me levai à l’heure et à l’instant, confiai la direction à l’élève moniteur, et entrai dans mon harem où je me couchai tout de mon long, en disant à mon épouse : « Prépare-moi ce qu’il y a à préparer pour me garantir des atteintes de la jaunisse ! » Et je dis cela en poussant force soupirs et en geignant, tout comme si j’étais déjà sous la puissance de toutes les pestes et rouges maladies.

Sur ces entrefaites, l’élève moniteur frappa à la porte et demanda la permission d’entrer. Et il me remit la somme de quatre-vingts drachmes, en me disant : « Ô notre maître, tes bons élèves viennent de se cotiser entre eux pour te faire ce présent, afin que notre maîtresse puisse te soigner tout à son aise, sans se préoccuper de la dépense. »