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le trésor sans fond
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teau en osier et des sucreries, des pommes de senteur, des baumes, des confitures sèches et des roses. Et je me mis à débiter ma marchandise à la porte des boutiques, vendant tous les jours et gagnant de quoi me suffire pour la journée du lendemain.

Or, ce petit commerce me réussissait, car j’avais une belle voix et débitais ma marchandise non point comme les marchands de Baghdad, mais en la chantant au lieu de la crier. Et, comme un jour je la chantais d’une voix plus claire encore que d’habitude, un vénérable cheikh, propriétaire de la plus belle boutique du souk, m’appela, choisit une pomme de senteur dans mon plateau, et, après en avoir respiré le parfum à plusieurs reprises, tout en me regardant avec attention, m’invita à m’asseoir auprès de lui. Et je m’assis, et il me fit diverses questions, me demandant qui j’étais et comment on me nommait. Mais moi, fort gêné par ses questions, je répondis : « Ô mon maître, dispense-moi de parler de choses dont je ne puis me souvenir sans aviver des blessures que le temps commence à fermer. Car rien que de prononcer mon propre nom, ce me serait une souffrance ! » Et je dus prononcer ces paroles en soupirant et sur un ton tellement triste que le vieillard ne voulut point insister ni me presser à ce sujet. Il changea aussitôt de discours, en mettant l’entretien sur les questions de vente et d’achat de mes sucreries ; puis, en me donnant congé, il tira de sa bourse dix dinars d’or qu’il me mit entre les mains avec beaucoup de délicatesse, et m’embrassa comme un père embrasse son fils…