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les deux vies du sultan mahmoud
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bêches, des herses, des pioches et des râteaux, et pouvant à peine se traîner, fut bien obligé de suivre les fellahs. Et il arriva avec eux, fourbu et pouvant à peine respirer, dans le village, où il fut en butte aux poursuites des petits enfants qui couraient tout nus derrière lui, en lui faisant subir mille avanies. Et, pour lui faire passer la nuit, on le poussa dans une étable abandonnée, où on lui jeta, pour son repas, un pain moisi et un oignon. Et, le lendemain, il était devenu âne pour de bon, âne avec une queue, des sabots et des oreilles. Et on lui passa une corde au cou, et on lui mit un bât sur le dos, et on l’emmena aux champs traîner la charrue. Mais comme il se rebiffait, on alla le confier au meunier du village qui eut bientôt fait de le mettre à la raison, en lui faisant tourner la roue du moulin, après lui avoir bandé les yeux. Et cinq années il tourna la roue du moulin, ne se reposant que juste le temps de manger sa ration de fèves et de boire un seau. Et cinq années de coups de bâton, de piqûres d’aiguillon, d’injures humiliantes et de privations. Et il ne lui restait, pour toute consolation et pour tout soulagement, que les séries de pets qu’il lâchait du matin au soir, comme réponse aux injures, en tournant le moulin. Et voici que tout à coup le moulin s’écroula, et il se vit de nouveau sous sa forme première d’homme, et non plus âne. Et il se promenait dans les souks d’une ville qu’il ne connaissait pas ; et il ne savait pas trop où aller. Et comme il était déjà las de marcher, il cherchait de l’œil un endroit pour se reposer, quand un vieux marchand, qui jugeait à son air qu’il était étranger, l’invita poliment à entrer dans sa boutique.