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les deux vies du sultan mahmoud
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Tout cela, et sultan Mahmoud ne savait s’il dormait, s’il veillait ou s’il n’était point sous la puissance de quelque sortilège ou hallucination.

Mais le cheikh, sans le laisser se calmer de toutes les violentes sensations qu’il venait d’éprouver, le prit de nouveau par la main, sans qu’il eût même l’idée d’opposer la moindre résistance, et le conduisit auprès d’un petit bassin qui rafraîchissait la salle de son murmure d’eau. Et il lui dit : « Penche-toi sur le bassin et regarde ! » Et sultan Mahmoud se pencha sur le bassin, pour regarder, quand, d’un mouvement brusque, le cheikh lui plongea la tête tout entière dans l’eau.

Et sultan Mahmoud se vit naufragé au pied d’une montagne qui dominait la mer. Et il était encore, comme au temps de sa splendeur, revêtu de ses attributs royaux avec sa couronne sur la tête. Et, non loin de là, des fellahs le regardaient comme un objet nouveau, et se faisaient mutuellement des signes à son sujet, en riant beaucoup. Et sultan Mahmoud, à cette vue, entra dans une fureur sans bornes, plus encore contre le cheikh que contre les fellahs, et s’écria : « Ah ! maudit magicien, cause de mon naufrage, puisse Allah me ramener dans mon royaume pour que je te châtie selon ton crime ! Pourquoi m’avoir trahi si lâchement ? Et que vais-je devenir dans ce pays étranger ? » Puis, se ravisant, il s’approcha des fellahs, et leur dit d’un ton solennel : « Je suis le sultan Mahmoud ! Allez-vous-en ! » Mais ils continuèrent à rire, en ouvrant des bouches jusqu’aux oreilles. Ah ! quelles bouches ! des grottes ! des grottes ! Et, pour éviter d’y être englouti vivant, il voulut lui-même