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les mille nuits et une nuit

tage inférieur du palais. Et l’édifice, fondant comme un morceau de sucre dans l’eau, s’affaissa d’un côté, et il était déjà presque effondré quand le cheikh referma soudain la fenêtre et la rouvrit. Et tout débordement fut comme s’il n’avait pas été. Et le beau fleuve continua, comme par le passé, à se promener avec majesté entre les champs infinis de luzernes, en dormant dans son lit.

Et le cheikh fit ouvrir par le roi la quatrième fenêtre, sans lui donner le temps de se remettre de sa surprise. Or, cette quatrième fenêtre avait vue sur l’admirable plaine verdoyante qui s’étend aux portes de la ville à perte de vue, pleine d’eaux courantes et de troupeaux heureux, celle qu’ont chantée tous les poètes depuis Omar, où des étendues de roses, de basilics, de narcisses et de jasmins alternent avec des bosquets d’orangers, où les arbres sont habités par des tourterelles et des rossignols tombés en pâmoison à force de plaintes amoureuses, où la terre est aussi riche et parée que dans les antiques jardins d’Iram-aux-Colonnes, et aussi embaumée que les pelouses d’Éden. Et, au lieu des prairies et des bois d’arbres fruitiers, sultan Mahmoud ne vit plus qu’un affreux désert rouge et blanc, brûlé par un soleil inexorable, un désert pierreux et sablonneux, qui servait de refuge aux hyènes et aux chacals et de champ de course aux serpents et aux bêtes malfaisantes. Et cette sinistre vision ne tarda pas, comme les précédentes, à s’effacer, quand le cheikh eut, de sa propre main, fermé et rouvert la fenêtre. Et, de nouveau, la plaine se fit magnifique, et sourit au ciel de toutes les fleurs de ses jardins.