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les mille nuits et une nuit

tant d’inconséquence que pour mettre à l’épreuve ma sagacité et mon savoir. Je vais donc courir derrière l’inconnue et lui demander son nom ! » Et, sans me consulter à ce sujet, il s’élança, plein de zèle, hors de la boutique, et se mit à courir derrière la jeune fille qui était déjà hors de vue. Et, au bout d’un certain temps, il revint à la boutique, mais en tenant la main sur son œil gauche, et le visage baigné de larmes. Et, la tête basse, il alla reprendre sa place au comptoir, en s’essuyant les joues. Et je lui demandai : « Qu’as-tu ? » Il me répondit : « Éloigné soit le Malin, ô mon maître ! Je crus bien faire en suivant, dans l’intention de lui demander son nom, la jeune dame qui était ici. Mais dès qu’elle se sentit suivie, elle se retourna brusquement vers moi, et m’asséna sur l’œil gauche un coup de poing qui faillit me défoncer la tête. Et me voici avec un œil abîmé par une main plus solide que celle d’un forgeron. »

Tout cela ! Or, louanges à Allah, ô mon seigneur, qui cache tant de force dans les mains des gazelles, et met tant de promptitude dans leurs mouvements !

Et moi je restai toute cette journée-là l’esprit enchaîné par le souvenir de ces yeux d’assassinat, et l’âme à la fois torturée et rafraîchie par le passage de la ravisseuse de ma raison.

Or, le lendemain, à la même heure, tandis que je m’égarais dans son amour, je vis l’enchanteresse debout devant ma boutique, qui me regardait en souriant. Et, à sa vue, le peu de raison qui me restait faillit s’envoler de joie. Et, comme j’ouvrais la bouche pour lui souhaiter la bienvenue, elle me dit :