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histoire de gerbe-de-perles
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avait pour fonctions de lui faire de l’air avec un éventail, en lui éventant, avec respect, spécialement les testicules. Car mon père avait les testicules sensibles à la chaleur, et rien ne leur faisait autant de bien que la brise de l’éventail.

Or, comme j’étais son fils unique, il m’aimait tendrement, ne me privait de rien et n’épargnait aucune dépense pour mon éducation. Et d’ailleurs ses richesses se multipliaient d’année en année, grâce à la bénédiction, et devenaient difficiles à dénombrer. Et ce fut alors que, l’heure de son destin étant arrivée, il mourut — puisse Allah le couvrir de Sa miséricorde, l’admettre dans Sa paix, et allonger des jours qu’a perdus le défunt la vie de l’émir des Croyants.

Quant à moi, ayant hérité des biens immenses de mon père, je continuai à faire marcher, comme de son vivant, les affaires du souk. Et d’ailleurs je ne me privais de rien, mangeant, buvant et m’amusant à ma capacité avec les amis de mon choix. Et je trouvais que la vie était excellente, et je tâchais de la rendre aux autres aussi agréable qu’elle était pour moi. C’est pourquoi mon bonheur était sans reproche et sans amertume, et je ne souhaitais rien de mieux que ma vie de tous les jours. Car ce que les hommes appellent ambition, et ce que les vaniteux appellent gloire, et ce que les pauvres d’esprit appellent renommée, et les honneurs, et le bruit, tout cela m’était un sentiment insupportable. Et je me préférais à tout cela. Et je préférais aux satisfactions du dehors la tranquillité de mon existence, et aux fausses grandeurs mon simple bonheur caché au milieu de mes amis au doux visage.