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les mille nuits et une nuit

tait l’âme si exaltée par les vins généreux et par tant de beautés réunies, qu’il se tourna avec des yeux inspirés vers le khalifat, et, la coupe à la main, il récita un poème qui venait d’éclore en lui au souvenir avivé d’un jeune ami qu’il possédait. Et de sa belle voix rythmée, il dit :

« Ô toi dont la joue est modelée sur la rose sauvage, et moulée comme celle d’une idole de la Chine,

Ô jouvenceau aux yeux de jais, aux formes de houri, quitte tes poses paresseuses, ceins tes reins et, dans la coupe, fais rire ce vin couleur de la tulipe nouvelle.

Car il est des heures pour la sagesse et d’autres pour la folie. Aujourd’hui verse-moi de ce vin. Car tu sais que j’aime le sang tiré de la gorge des jarres, quand il est pur comme ton cœur.

Et ne me dis pas que cette liqueur est perfide. Qu’importe l’ivresse à celui qui est né ivre ? Mes souhaits aujourd’hui sont compliqués à l’égal de tes boucles.

Et ne me dis que le vin est funeste aux poètes. Car tant que la tunique du ciel sera, comme aujourd’hui, d’azur, et verte la robe de la terre, je veux boire à en mourir,

Afin que les jeunes gens au beau visage qui iront visiter ma tombe, de respirer l’odeur de vin, victorieuse de la terre, qu’exhaleront mes cendres, puissent, par le seul effet de cette odeur, se sentir déjà ivres. »

Et, ayant fini d’improviser ce poème, le conteur