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les mille nuits et une nuit

quoi elles me firent ramasser par les eunuques, qui me transportèrent là où ils m’avaient pris. Et moi, l’âme plus tourmentée que jamais et l’esprit plus bouleversé, je retournai auprès de mon maître, dans la cahute.

Et je le trouvai, couché sur la natte, la poitrine oppressée, et le teint jaune comme s’il eût été à l’agonie. Mais j’avais le cœur trop occupé ailleurs pour me tourmenter à son sujet. Et il me demanda d’une voix faible : « As-tu vu, ô mon enfant, la fille du sultan ? » Et je répondis : « Oui, mais c’est pis que si je ne l’avais vue. Et désormais mon âme ne peut trouver de repos, si je ne parviens à m’asseoir près d’elle, et à rassasier mes yeux du plaisir de la regarder ! » Et il me dit, en poussant un grand soupir : « Ô mon bien-aimé disciple, que je tremble pour la paix de ton cœur ! Ah ! quel rapport peut jamais exister entre ceux de la Solitude et ceux du Pouvoir ? » Et je répondis : « Ô mon père, à moins que je ne repose ma tête près de la sienne, que je ne la regarde et que je ne touche son cou charmant de ma main, je me croirai à l’extrême limite du malheur, et je mourrai de désespoir. »

Alors mon maître, qui m’aimait, inquiet tout à la fois pour ma raison et pour la paix de mon cœur, me dit, tandis que des hoquets le secouaient douloureusement : « Ô fils de ton père et de ta mère, ô enfant qui portes en toi la vie et qui oublies combien la femme est troublante et pervertissante, va, satisfais tous tes désirs ! mais, comme une dernière grâce, je te supplie de creuser ici même ma tombe, et de m’ensevelir sans mettre de pierre indicatrice