Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 13, trad Mardrus, 1903.djvu/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.
204
les mille nuits et une nuit

je sortis de la mosquée et repris le chemin de notre solitude. Mais, en chemin, ô mon seigneur, je croisai un groupe d’eunuques au milieu desquels se balançait une adolescente voilée, dont les yeux sous le voile me parurent contenir tout le ciel. Et les eunuques étaient armés de longs bâtons avec lesquels ils tapaient sur les épaules des passants, pour les éloigner du chemin suivi par leur maîtresse. Et de tous côtés j’entendais les gens murmurer : « La fille du sultan ! la fille du sultan ! » Et moi, ô mon seigneur, je m’en retournai vers mon maître, l’âme en émoi et la cervelle en désordre. Et du coup j’oubliai les maximes de mon maître, et mes cinq années de sagesse, et les préceptes du renoncement.

Et mon maître me regarda tristement, tandis que je pleurais. Et nous passâmes toute la nuit l’un à côté de l’autre sans prononcer une parole. Et le matin, après lui avoir baisé la main, selon mon habitude, je lui dis : « Ô mon père et ma mère, pardonne à ton indigne disciple ! Mais il faut que mon âme revoie la fille du sultan, ne fût-ce que pour jeter sur elle un seul regard. » Et mon maître me dit : « Ô fils de ton père et de ta mère, ô mon enfant, tu verras, puisque ton âme le désire, la fille du sultan. Mais songe à la distance qu’il y a entre les solitaires de la sagesse et les rois de la terre ! Ô fils de ton père et de ta mère, ô nourri de ma tendresse, oublies-tu combien la sagesse est incompatible avec la fréquentation des filles d’Adam, surtout quand elles sont des filles de rois ? Et as-tu donc renoncé à la paix de ton cœur ? Et veux-tu que je meure, persuadé qu’avec ma mort disparaîtra le dernier recéleur des préceptes de