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les mille nuits et une nuit

où la première fois elle m’avait bandé les yeux et me dit : « Reviens ici ce soir, à l’heure de la prière, et tu me trouveras à cette même place pour te conduire chez ton épouse. » Et, à ces mots, elle m’enleva le bandeau, et me quitta.

Et moi je me hâtai de courir à ma maison, où je trouvai ma mère dans la désolation et les larmes du désespoir, en train de coudre des habits de deuil. Et dès qu’elle m’aperçut, elle s’élança vers moi, et me serra dans ses bras en pleurant de joie ; et je lui dis : « Ne pleure pas, ô ma mère, et rafraîchis tes yeux, car cette absence m’a conduit à un bonheur auquel je n’eusse jamais osé aspirer. » Et je lui appris mon heureuse aventure, et elle s’écria avec transport : « Puisse Allah te protéger et te garder, ô mon fils ! Mais promets-moi que tu viendras me visiter chaque jour, car ma tendresse a besoin d’être payée de ton affection. » Et je n’eus point de peine à lui faire cette promesse, vu que mon épouse m’avait déjà donné la liberté de sortir. Après quoi j’employai le reste de la journée à mes affaires de vente et d’achat dans la boutique du souk, et lorsque l’heure fut venue, je retournai à l’endroit indiqué où je trouvai la vieille qui me banda les yeux comme à l’ordinaire, et me conduisit au palais de mon épouse, en me disant : « Il vaut mieux pour toi qu’il en soit ainsi, car, comme je te l’ai déjà dit, mon fils, il y a dans cette rue quantité de femmes, mariées ou jeunes filles, assises dans le vestibule de leur maison, et qui toutes n’ont qu’un désir, et c’est d’aspirer l’amour de passage comme on renifle l’air et comme on hume l’eau courante ! Et que deviendrait ton cœur au milieu de leurs filets ? »