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les mille nuits et une nuit

partageaient en toute équité, considérable fût-il ou modique. Et ils dépensaient toujours la moitié de ce gain en achat de provisions de bouche, et l’autre moitié en achat de haschich, pour se griser la nuit, après la journée bien remplie. Et leur griserie, devant les chandelles allumées, était toujours de bon aloi, et ne dégénérait jamais en rixes ou en paroles malséantes, bien au contraire ! Car le haschich exaltait plutôt leurs qualités de fond et avivait leur intelligence. Et, dans ces moments-là, ils trouvaient des expédients merveilleux qui, en vérité, eussent fait les délices de l’écouteur.

Or, un jour, le haschich, ayant fermenté dans leur raison, leur suggéra un expédient d’une audace sans précédent. Car, une fois leur plan combiné, ils se rendirent de bon matin devant le jardin qui entourait le palais du roi. Et là ils se mirent ostensiblement à se quereller et à s’invectiver, en se lançant mutuellement, contre leur habitude, les imprécations les plus violentes, et en se menaçant, avec force gestes et de gros yeux, de s’entre-tuer ou, pour le moins, de s’entr’enculer.

Lorsque le sultan, qui se promenait dans son jardin, eut entendu leurs cris et le tumulte qui s’élevait, il dit : « Qu’on m’amène les individus qui font tout ce bruit ! » Et aussitôt les chambellans et les eunuques coururent se saisir d’eux et les traînèrent, en les rassasiant de coups, entre les mains du sultan.

Or, dès qu’ils furent en sa présence, le sultan, qui avait été dérangé dans sa promenade matinale par leurs cris intempestifs, leur demanda avec colère : « Qui êtes-vous, ô chenapans ? Et pourquoi vous