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histoire de kamar et de l’experte halima
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le maître de cette bague, qui m’a déjà été payée d’avance comme jamais travail ne m’a été payé, est beau et charmant, avec des yeux qui blessent de désir, des joues comme les pétales de l’anémone sur un parterre jonché de jasmins, une bouche comme le sceau de Soleimân, des lèvres trempées dans le sang des cornalines, et un cou tel le cou de l’antilope, qui porte gracieusement sa tête fine comme une tige porte sa corolle. Et, pour résumer ce qui est au-dessus de toute louange, il est beau, vraiment beau, et charmant autant qu’il est beau, ce qui fait qu’il te ressemble non seulement par ses perfections, mais aussi par son âge tendre et les traits de son visage. »

Ainsi le joaillier dépeignit à son épouse le jeune Kamar, sans voir que ses paroles venaient d’allumer dans le cœur de l’adolescente une passion soudaine et d’autant plus vive que son objet était invisible. Et il oubliait, ce propriétaire d’un front où, comme des concombres sur un terrain fumé, allaient pousser les cornes, qu’il n’existe point de pire entremettage, ni de plus certain de la réussite, que celui d’un mari qui vante devant son épouse, sans prendre garde aux conséquences, les mérites et la beauté d’un inconnu. C’est ainsi que lorsqu’Allah Très-Haut veut faire marcher les décrets arrêtés au sujet de ses créatures, il les fait tâtonner dans les ténèbres de l’aveuglement.

Or, la jeune épouse du joaillier entendit ces paroles et les retint au fond de son esprit, mais sans rien montrer des sentiments qui l’agitaient. Et elle dit à son époux d’un ton indifférent : « Fais voir cette bague-là ! » Et Osta-Obeid la lui remit, et elle la