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histoire de kamar et de l’experte halima
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« Par Allah, ô mon oncle le derviche, si tu tiens à garder ta tête sur ton cou, et ton cou sain et sauf, garde-toi bien de parler à qui que ce soit de ce que tu as eu la malechance de voir. Et même tu feras bien, pour plus de sûreté, de quitter sur-le-champ notre ville, ou tu es perdu sans recours ! Et c’est là tout ce que je puis te dire à ce sujet ; car c’est un mystère qui met à la torture toute la ville de Bassra, où les gens meurent comme des sauterelles, s’ils ont le malheur de ne point se cacher avant l’arrivée du cortège. L’esclave, en effet, qui tient le glaive nu, tranche la tête des indiscrets qui ont la curiosité de regarder passer le cortège, ou qui ne se cachent pas sur son passage. Et voilà tout ce que je puis t’en dire ! »

« Alors moi, ô mon maître, dès que le barbier eut fini de me raser la tête, je quittai la boutique et me hâtai de sortir de la ville, et n’eus de tranquillité que lorsque je fus hors des murs. Et je voyageai, par les terres et les déserts, jusqu’à ce que je fusse arrivé dans votre ville. Et j’avais toujours l’âme habitée par la beauté entrevue, et j’y pensais le jour et la nuit, tant que j’en oubliais souvent le manger et le boire. Et c’est dans ces dispositions que j’arrivai aujourd’hui devant la boutique de ta seigneurie, et que j’aperçus ton fils Kamar, dont la beauté me rappela d’une façon précise celle de l’adolescente surnaturelle de Bassra, à qui il ressemble comme un frère ressemble à son frère. Et je fus tellement ému de cette ressemblance que je n’ai pu retenir mes larmes, ce qui est, sans doute, le fait d’un insensé ! Et telle est, ô mon maître, la cause de mes soupirs et de mon émotion ! »